Les implications de l'interdiction britannique concernant le Hezbollah

Les implications de l'interdiction britannique concernant le Hezbollah

* La décision d'interdiction, peut pas être considérée comme une mesure individuelle séparée du contexte d'un changement international contre l'Iran et ses agents dans la région.

 
 
Washington:La Grande-Bretagne s'apprête à interdire le Hezbollah et d'autres groupes tels que «Ansar al-Islam» et «Jamâat Nousrat il-islam wa mouslimin», a annoncé le ministère de l'Intérieur britannique dans un communiqué, publié au début de cette semaine.
La Grande-Bretagne, à l'instar d'autres pays européens, a précédemment décidé de faire la distinction entre les branches, militaire et politique de cette organisation chiite libanaise. Toutefois, si la déclaration est adoptée par le Parlement, cela signifie, selon le ministère de l'Intérieur, que l'adhésion à l'une des trois organisations - ou l'appel à leur soutien - constitue une infraction pénale passible de 10 ans d'emprisonnement.
Le ministre britannique de l'Intérieur, Sajid Javed, a déclaré aussi, dans ce communiqué que : «le Hezbollah poursuit ses efforts pour déstabiliser une situation déjà fragile au Moyen-Orient, et nous ne pourrons nullement distinguer entre sa branche militaire, déjà interdite, et le parti politique», avant d’ajouter : «pour cette raison, j'ai décidé d'interdire toute l'organisation».
 
L'Europe sous les projecteurs
Cette décision a suscité un débat concernant la distinction entre les branches, militaire et politique du Hezbollah, alors que le ton de la rhétorique américaine contre l'Iran s'intensifie et les divergences avec l'Europe sur la manière de faire face à l'Iran persistent. L’adoption britannique, pousse à se demander concernant la position des pays européens, et s’ils feront de même.
Des agents du Hezbollah sont impliqués dans des opérations terroristes et criminelles en Europe depuis de nombreuses années: En 2012, le Hezbollah a lancé une opération contre un bus touristique à Burgas, tuant cinq Israéliens et leur chauffeur bulgare.
Mais la plupart des opérations du Hezbollah en Europe, se concentre sur le blanchiment d’argent, le trafic de drogue et d’autres activités criminelles. Une liste de personnes et d'entreprises a été dévoilée. Les autorités ont arrêté certaines d'entre elles pour activités commerciales illégales en Europe, pour le compte du Hezbollah, plus précisément en Lituanie, en France et en Allemagne.
En janvier, des autorités exécutives et judiciaires de France, d'Amérique, d'Allemagne, de Belgique, d'Italie, des Pays-Bas et d'Espagne, soutenues par Europol, ont agi contre une importante organisation criminelle libanaise accusée d'implication dans le financement du terrorisme par la branche militaire du Hezbollah. L'organisation était responsable de blanchiment de l’argent de la cocaïne dans toute l'Europe.
Bien que beaucoup de ces opérations soient de nature non militaire, les pays européens préfèrent toujours fermer les yeux concernant les activités de collecte de fonds du Hezbollah en Europe, préférant les attribuer à la branche militaire du parti.
L’interdiction du Hezbollah comme organisation terroriste en Europe aura des répercussions financières sur le parti, et va restreindre les activités de ses sympathisants, non seulement en Grande-Bretagne, mais également en Europe.
 
Une action symbolique ou pratique?
Selon une étude récente publiée par BECOM (Centre israélo-britannique pour la communication et la recherche), la décision britannique revêt une signification pratique. Par exemple, en vertu de la législation britannique en vigueur, appartenir à l’aile militaire du Hezbollah, le financer ou encourager l’un de ses composants constitue un délit pénal. Cependant, sous l'apparence de «branche politique», le Hezbollah peut collecter des fonds pour ses opérations en Grande-Bretagne. Sans oublier la possibilité de saper les efforts de lutte contre le terrorisme au niveau local. «L'interdiction totale limitera la capacité de l'organisation à collecter des fonds de manière significative et l'empêchera d'utiliser les banques britanniques pour transférer des fonds dans le monde entier», indique le rapport.
En conséquence, les pouvoirs exécutifs britanniques disposeront de pouvoirs plus étendus pour geler les avoirs du Hezbollah en Grande-Bretagne, y compris ceux qui se cachent sous couvert d'organisations de bienfaisance. En outre, toute expression du soutien au Hezbollah serait considérée comme infraction pénale.
Selon le rapport de la BECOM, cela mettra fin au fossé qui permet aux partisans du Hezbollah de parcourir les rues de Londres en brandissant les drapeaux de ce parti, la journée de Jérusalem. Étant donné que les branches politiques et militaires du parti utilisent le même étendard. L'interprétation actuelle de la législation britannique conduit à une situation dans laquelle la police britannique et le parquet royal ne peuvent envisager l’usage des drapeaux du Hezbollah comme un crime en vertu de l'article 13 de la Loi de 2000 sur le terrorisme.
Mais les responsables britanniques pourraient rencontrer leurs homologues libanais, et l'interdiction n'empêchera pas le Royaume-Uni d’octroyer de l’aide aux forces armées libanaises. Les États-Unis, qui considèrent le Hezbollah comme organisation terroriste, ont fourni 1,7 milliard de dollars à l’armée libanaise depuis 2006.
 
Contexte et implications
La décision n’est évidemment pas surprenante, et certainement pas hors du contexte. L'opinion publique britannique discute de cette question après le constat de marches du Hezbollah, fêtant la journée de Jérusalem. Loin de la Grande-Bretagne, cette action s'inscrit dans le contexte d'un changement de politique internationale vis-à-vis de l'Iran et d'une intensification des efforts pour contenir son rôle dans la région.
Le retrait de l'administration Trump de l'accord nucléaire iranien, les sanctions américaines sur l'Iran et ses agents régionaux, ainsi que les initiatives militaires et diplomatiques des pays du Golfe pour faire face aux agents iraniens dans le Golfe, et le reste de la région, enfin et surtout, la décision britannique d'interdire le Hezbollah, accentuent la suspicion internationale concernant le comportement de l'Iran.
Du côté iranien, la résolution n’est peut-être pas très importante: le régime entretient toujours des relations acceptables avec l'Europe, mais compte tenu du cadre élargi, l'Iran doit s'inquiéter et le Hezbollah doit prendre ces décisions très au sérieux. La communauté internationale semble se détourner de plus en plus de l'Iran et prêter une attention particulière à ses opérations de déstabilisation de la région.
Les Etats-Unis peuvent ne pas disposer de plans militaires visant l’Iran, mais l’administration américaine est déterminée à poursuivre sa politique de sanctions jusqu’à épuisement des fonds iraniens. Quant au Hezbollah, le problème est double. Outre les nombreuses indications d'une crise financière imputable aux sanctions, le Hezbollah devra éventuellement affronter Israël au Liban.
Il faut rappeler qu’Israël a lancé des attaques contre les installations militaires du Hezbollah en Syrie, où le Hezbollah et les Gardiens de la révolution iranienne font doter les missiles d’instruments de précision. L’Iran a transféré tout cet arsenal au Liban, dans un but de le protéger. Car dans ce pays les frappes israéliennes deviendraient plus compliquées. Mais ce projet, qui relève d’une importance stratégique pour le Hezbollah et l’Iran, constitue une source de grande préoccupation pour Israël, qui menace constamment le Hezbollah et le Liban.
En 2006, lors de la dernière guerre entre Israël et le Hezbollah, la communauté internationale a soutenu le Liban. De nombreux États arabes, ainsi que les peuples, ont soutenu la résistance et critiqué Israël pour avoir bombardé des civils. L’Iran n’a pas joué un rôle majeur dans la région et les fonds de reconstruction provenaient de partout, essentiellement des pays du Golfe.
De nos jours, ce parti ne pourra pas bénéficier du même soutien. L'Iran joue un rôle majeur dans la région et le Hezbollah est devenu son bras droit pour ses opérations régionales et internationales. La décision de la Grande-Bretagne met en évidence dans ce contexte les changements survenus au sein de la communauté internationale, tant dans les positions que dans les mesures pratiques prises concernant les activités du Hezbollah et de l'Iran. La communauté internationale est à court de patience et le Hezbollah risque de s'isoler dans les mois et les années à venir.
Au constat du contrôle croissant du Hezbollah sur le gouvernement libanais, et ses décisions militaires et en matière de sécurité, les Libanais doivent également examiner les actions de la Grande-Bretagne dans son contexte plus large. Après le communiqué du gouvernement britannique, des déclarations de dirigeants libanais - tels que le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères - ont été prononcées sans aborder le vrai problème. Ignorer les conséquences de cette décision et son contexte ne fera que pousser le Liban vers de nouveaux conflits et de nouvelles crises.
La décision d’interdiction britannique, ne peut être considérée comme une mesure individuelle et surtout distincte du contexte du changement international contre l'Iran et ses agents dans la région. Si le Hezbollah et l'Iran persistent à défier, et acceptent de subir à la fois, l’isolement et, les sanctions, le peuple libanais et ses dirigeants doivent agir pour montrer à la communauté internationale qu'il existe déjà une différence entre le Hezbollah et le Liban, avant qu'il ne soit trop tard pour opérer cette distinction.
 
Hanine Ghadar: chercheuse invitée à la Friedman, de l’Institut d’études du Proche-Orient de Washington.
 

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